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Le Modulor : ultime résurgence du mythe ?

mardi 12 décembre 2017, par Guide Rousseau

La genèse du Modulor

Le Corbusier termine en 1948 la rédaction de son essai, intitulé LE MODULOR, suivi d’un second tome en 1955 : “La parole est aux usagers“.
Fruit d’une réflexion menée dès les années 20, notamment dans la revue l’Esprit Nouveau, marquée plastiquement par le cubisme et la Section d’Or, le Modulor devient objet de recherche durant l’occupation pour devenir proposition concrête après la guerre. Le Modulor est né, nous dit-il, de l’observation de la nature [1], de l’étude des oeuvres d’art, de leurs tracés régulateurs (Choisy) et des travaux de Matila Ghyka consacrés au Nombre d’or dans la nature et dans l’art. “la nature est mathématique, les chefs-d’œuvre de l’art sont en consonance avec la nature ; ils expriment les lois de la nature et ils s’en servent” voilà bien le credo sur lequel Le Corbusier fonde son action.

A ce postulat vont s’ajouter d’autres considérations comme le rôle éminent que doit jouer la normalisation, aussi bien en architecture que dans la construction mécanique. La normalisation s’impose esthétiquement, “pour plus d’harmonie“, et économiquement dans cette période de reconstruction urgente qui exige la rationalisation de la production des nouveaux logements (Le Corbusier va jusqu’à parler de “machine à habiter“). A cela il ajoute l’impérieuse nécessité de respecter l’échelle humaine. Le Modulor lui apparaît aussi comme le moyen de dépasser les deux systèmes de mesure qui divisent la planète : le système anglo-saxon du pied-pouce, peu pratique mais qui tient compte des mesures du corps, et le système métrique, décimal donc pratique, trop abstrait cependant, privé de lien direct avec les dimensions du corps [2]. L’échelle du Modulor suit la progression de Fibonacci [3] suite qui tend vers le nombre d’or Ø, principe qui va de soi puisque pour Le Corbusier l’ “on a démontré -et principalement à la Renaissance- que le corps humain obéit à la règle d’or“.

La “porte-du-miracle-des-nombres” : outil de précision pour choisir des mesures harmoniques.

Défini comme la “mesure harmonique à l’échelle humaine applicable universellement à l’architecture et à la mécanique” (sous-titre et p.34), le Modulor prend la forme matérielle d’un ruban de métal ou de plastique de 2,26m (89 pouces) joint à un tableau numérique donnant deux séries utiles. La hauteur totale du corps finalement retenue est celle de 1,83m. cette dimension permet d’obtenir par l’application de la “règle d’Or” des valeurs proches d’entiers que ce soit en mètre ou en pouce. Le bras levé de cet homme de 1,83 atteint 2,26m (55″), le plexus est à mi-hauteur soit 1,13m (27″1/2). Le Corbusier nomme série rouge la suite de Fibonacci établie sur l’unité de 1,13m et série bleue celle établie sur son double 2,26m.

Problème de “pure plasticité”

Les chiffres retenus par le Corbusier sont des valeurs approchées. L’exactitude mathématique le préoccupe moins que de proposer une échelle d’harmonie visuelle qui puisse guider l’action de l’architecte. Bien sûr “les mathématiques sont l’édifice magistral imaginé par l’homme pour sa compréhension de l’univers” (p.73) à l’instar des dieux “derrière le mur qui jouent au nombre” (p.220), elles sont susceptibles d’ouvrir une de ces portes qui permettent d’atteindre “les dieux, là où sont les grands systèmes“. En cela il rejoint l’humanisme de la Renaissance mais sa méfiance à l’égard de tout dogme entretient une vigilance qui le pousse à une certaine réserve que ne cultive pas toujours ses épigones. Ainsi à l’égard de l’intellectualisme de la Renaissance exprime-t-il quelques réticences : “…
Les étoiles de la Grande Renaissance ont produit une architecture éclectique, intellectualisée et un spectacle ne s’offrant que par fragment d’intention…” et à propos de ses propres propositions il s’octroie “le droit de douter à toute heure des solutions rendues accessibles par le Modulor, réservant intacte (sa) liberté qui ne doit dépendre que de (son) sentiment des choses et non de la raison“ (p.63). Même précaution à l’égard du tracé régulateur qui “ne vient mettre que de l’ordre, de la clarté, accomplissant ou réclamant une véritable purification. Le tracé régulateur n’apporte pas d’idées poétique ou lyrique ; il n’inspire nullement le thème ; il n’est pas créateur ; il est équilibreur. Problème de pure plasticité“ (p.34)


[1La nature est ordre et lois, unité et diversité illimitée, finesse, force et harmonie” p.25 Le Modulor, Le Corbusier, “Editions de l’Architecture d’Aujourd’hui” 1950, réédition1983.

[2Le mètre choisi comme la dix millionième partie du quart du méridien terrestre, pour des raison d’universalité le fut aussi probablement parceque sa longueur est proche de la moitié d’une toise.

[3Fibonacci dit Léonard de Pise (vers1175-1240), mathématicien, introduit en Occident les mathématiques arabes. Suite de Fibonacci : suite d’entiers dans laquelle chaque terme est égal à la somme des deux termes précédents soit 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, … et dont le rapport de deux termes consécutifs tend vers Ø.

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